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26 avril 2007 4 26 /04 /avril /2007 15:05
Présidentielle. « Je voudrais vous parler de sentiments », par Ariane Mnouchkine

Écrit par Ariane Mnouchkine, animatrice de la troupe du Théâtre du Soleil, le texte ci-dessous date d'avant le premier tour. En fait, il ne date pas du tout. Sa pertinence autant que sa sensibilité ne lui en confèrent que  pleine  actualité.

« Je voudrais vous parler de sentiments. Car lors d'une élection  présidentielle, et pour celle-ci bien plus que pour toute autre, il  s'agit aussi de sentiments.

Il s'agit d'étonnement d'abord, d'espoir, de confiance, de méfiance, de  craintes, et de courage aussi. Il s'agit surtout, je crois, d'un  sentiment de genèse.

Je n'ai jamais cru que la Genèse fut terminée.

Petite fille, je pensais même que, une fois grande personne, je serais  fermement conviée à y participer. Et comme, à l'époque, aucun adulte  autour de moi ne s'est cru autorisé à me détromper, je le pense toujours. Certains hommes, certaines femmes, savent mieux que d'autres nous  rappeler à notre droit et à notre devoir de contribuer à cette genèse, à cette mise au monde d'un meilleur monde. D'un meilleur pays, d'une meilleure ville, d'un meilleur quartier, d'une meilleure rue, d'un  meilleur immeuble. D'un meilleur théâtre.

Mieux que d'autres, par leur détermination, leur ferveur, leur  sincérité, leur intelligence, leur audace, ils nous incitent à entamer  ou à reprendre avec joie un combat clair, juste, urgent, possible. Modeste pour les uns, gigantesque pour les autres, mais possible. Pour libérer cet élan, il ne doit y avoir chez les prétendants aucune faconde, aucune forfanterie, aucune vulgarité de comportement, aucun  mépris de l'adversaire. Aucune enflure pathologique de l'amour du moi.

Aucune goinfrerie. Aucune clownerie de bas étage, aucun double langage.  Aucune mauvaise foi.
Non, il doit y avoir une terreur sacrée. Oui. Ils doivent être saisis  d'une terreur sacrée devant le poids écrasant de la responsabilité qu'ils ambitionnent de porter, devant l'attente du peuple dont ils  quémandent le suffrage avec tant d'insistance.

Oui, il faut qu'ils tremblent de la terreur de nous décevoir.

>>>
Or, pour cela, il leur faut de l'orgueil. Car, sans orgueil, pas de honte.

Pas de vergogne.

Que de fois, ces jours-ci, je me suis exclamée: « Oh! Il est vraiment sans vergogne, celui-là. » Eh bien, moi, j'espère, je crois, je sais que Ségolène Royal a de la vergogne et donc qu'elle est capable de grande honte si, une fois élue, elle ne réussissait pas à nous entraîner tous  et chacun, où que nous soyons, du plus important des ministères jusqu'à la plus humble classe de la plus petite école de France, dans cet herculéen travail qui nous attend et qui consistera à recoudre, à retisser même par endroits, et à poursuivre la formidable tapisserie  qu'est la société française. Cet imparfait, cet inachevé mais si précieux ouvrage que, par pure, ou plutôt par impure stratégie de conquête du pouvoir, Nicolas Sarkozy et ses associés s'acharnent à déchirer.

Donc, contre la pauvreté, contre le communautarisme, pour la laïcité, pour la rénovation de nos institutions, contre l'échec scolaire, et donc pour la culture, pour l'éducation et donc pour la culture, pour les universités, pour la recherche, et donc pour la culture, pour la préservation de la seule planète vivante connue jusqu'à ce jour, pour une gestion plus vertueuse, plus humaine, donc plus efficace des entreprises, pour l'Europe, pour une solidarité vraie, qu'on pourrait enfin nommer fraternité et qui ne s'arrêterait pas à une misérable frontière mais s'étendrait bien au-delà de la mer, bref, pour une nouvelle pratique de la politique, c'est un immense chantier que cette femme, eh oui, cette femme, nous invite à mettre en œuvre.

Et moi, je vote pour ce chantier, donc je vote pour Ségolène Royal.

Son adversaire surexcité veut nous vendre, nous fourguer un hypermarché, un vrai « Shopping Paradise » très bien situé, remarquez, juste en face de la caserne des CRS, elle-même mitoyenne du nouveau Casino des Jeux concédé à ses amis lorsqu'il était ministre - tandis qu'un troisième... celui-là, à part être président, j'ai du mal à comprendre ce qu'il veut pour nous.
Une hibernation tranquille, peut-être ?

Pendant ce temps, celui que bien imprudemment certains s'obstinent à classer quatrième alors qu'il y a cinq ans... vous vous souvenez? Ô ! Nos visages blêmes, nos mains sur nos bouches tremblantes et nos yeux pleins de larmes. Ô ce jour-là nos visages... les avons-nous déjà oubliés ?
L'horreur de ce jour-là, l'avons-nous déjà oubliée?

La honte de ce jour-là? Voulez-vous les revoir, ces visages?

Moi, non. Voilà pourquoi, même si je respecte leurs convictions, et en partage plus d'une, je ne veux pas que ceux qui pratiquent l'opposition radicale, jusqu'à en prôner la professionnalisation durable, nous entraînent dans leur noble impuissance. Voilà pourquoi je pense que nous, le soir, dans nos dîners, devons cesser nos tergiversations de précieux ridicules.

C'est du luxe. Un luxe insolent aujourd'hui. Beaucoup dans ce pays ne peuvent se le payer. Ils souffrent. Ils sont mal-logés, ou pas logés. Ils mangent mal. Ils sont mal soignés, ne connaissent pas leurs droits, donc n'ont droit à rien. Ni lunettes, ni dents, ni vacances, ni outils de culture. Leurs enfants n'héritent que de leur seule fragilité. Ils souffrent. Ils sont humiliés. Ils ne veulent pas, ils ne peuvent pas, eux, passer un tour.

Encore un tour.

Jamais leur tour.

Alors, dépêchons-nous. Il y a du monde qui attend.

Allons-y, bon sang ! Il n'y a plus une minute à perdre.

Cette femme, eh oui, cette femme porte nos couleurs, elle les porte vaillamment, courageusement, noblement.

Et quand je dis couleurs, je ne parle pas des seules trois couleurs de notre drapeau. Je parle des couleurs de la France, celle que j'aime, celle de la citoyenneté vigilante, de la compassion pour les faibles, de la sévérité pour les puissants, de son amour intelligent de la jeunesse, de son hospitalité respectueuse et exigeante...

Je parle des couleurs de l'Europe à qui nous manquons et qui nous manque.

Voilà pourquoi je vote pour les travaux d'Hercule, je vote pour Ségolène Royal, et je signe son pacte.
»

Ariane Mnouchkine
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commentaires

D
Ariane a tout à fait raison.J\\\'ai de l\\\'espoir. Un peu.Seulement, seulement...Dans cette élection, une chose est faussée: d\\\'un côté des medias audiovisuels, en grande partie à la botte de Sarkoléon (ou Sarkusconi, comme on préfère), de l\\\'autre des vérités effrayantes qui s\\\'ajoutent les unes aux autres, et se diffusent sur un medium encore libre: l\\\'internet.Mais une partie importante de l\\\'électorat "populaire" de Sarkozy ne fréquente pas l\\\'internet, soit qu\\\'il ne soit pas du tout équipé, soit qu\\\'il ne s\\\'en soit pas encore approprié la maîtrise.Et c\\\'est bien là que le bât blesse.J\\\'étais ce matin sur la foire de Rouillac (Charente), avec quelques Verts, pour défendre les couleurs de Mme Royal au 2 ème tour, et la candidature verte (sans espoir) de Madeleine L. au législatives. J\\\'ai vu la France profonde, besogneuse, rurale au fond des yeux. Et cette France-là m\\\'effraie. Elle a été éduquée, mais insuffisamment, ou incomplètement.Oh, certes, elle sait lire, mais n\\\'a pas suffisamment de curiosité pour décrypter ce qu\\\'elle lit, ce qu\\\'elle voit sur les écrans.Cette France-là a beau fredonner la rengaine "politiques, tous pourris", elle n\\\'en voit pas pour autant le piège creusé sous ses pieds par le séducteur, l\\\'homme "providentiel" et sa clique. Car on lui a malgré tout bien plus enseigné le respect des chefs, que l\\\'autonomie et la responsabilité. Au fond, elle se préoccupe peu de penser, elle se satisfait d\\\'un "prépensé" en kit Ikéa, des affirmations volontaristes de M "Je veux".Le personnage de Bayrou m\\\'énerve. Et il a sans doute intérêt à chercher à accroître la surface de sa place dans le panier de crabes. Mais tout de même. Il ne manque pas de courage, ce qui est loin d\\\'être le cas de tout ce qui grouille autour du ministre-président de l\\\'UMP-maire de Neuilly.La véritable vermine, la racaille habite les beaux quartiers, et le nez plongé dans son caca, continue à prétendre que ce sont les autres qui sont merdeux.Ces temps-ci je lisais "Eloge de la fuite" du regretté Henri Laborit.La "fuite" dont il parle est celle dans l\\\'imaginaire, mais n\\\'est pas synonyme de démission. Ce livre, écrit en 1976 reste d\\\'une étonnante actualité. Il démonte les processus par lequels le cerveau, programmé, façonné dès les premières années, est en grande partie incapable de repérer les véritables motivations de l\\\'individu (recherche du plaisir, recherche de la dominance), et comment la hiérarchisation (toujours renouvelée, quelle que soit l\\\'organisation sociale) en dominants-dominés nous maintient dans la consommation, comme une dérisoire compensation à notre frustration d\\\'autonomie.Nous sommes si peu libres, nous avons si peu choisi l\\\'enchaînement de circonsances qui ont fait de chacun de nous ce qu\\\'il (elle) est. Mais, selon Laborit, c\\\'est faire prendre conscience de cela au plus grand nombre qui peut conduire à une plus grande autonomie...J\\\'arrête là... je suis déjà un peu "hors sujet".Quoi qu\\\'il en soit, il faut se battre, il faut résister.Ne serait-ce que six mois de Sarkozysme, je ne peux l\\\'envisager.Ce serait cela la véritable dégringolade de la France....
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