1 septembre 2005
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La place de ma commune. Ce cœur malade d’avoir été mal aimé
La Terre et l’univers dans un même tout. Un village comme le microcosme du pays. La place comme le symbole de la commune. On peut y lire l’histoire, ou bien sa négation. Ses espérances comme ses souffrances. Voici ce que je vois dans la défiguration de la place de Venelles, la commune provençale où je vis – «mon» village, «ma» France, «ma» planète.
Le cœur, tout est là. Oui, c’est d’une affaire de cœur dont je vais parler. Affaire sentimentale et cardiaque. Le cœur de ma commune, Venelles, près d’Aix-en-Provence, vient en effet de subir un quadruple pontage. Et depuis, la convalescence traînouile. Le reste de l’organisme ne se sent pas bien, comme s’il ne se remettait pas d’aplomb. L’opération, donc, a porté sur les quatre côtés de la place et les artères se raboutent mal. On vient voir le malade qu’on ne sent pas dans son assiette. Voyez sur la photo comme il a mauvaise mine. Le teint jaune, cireux. Même avec le rouge du maquillage, ses joues sont creusées. On dirait qu’il a le mauvais œil.
Devant la mairie, un no man's land, un désert. Un double fiasco, politique et humain.
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Samedi, ce 3 septembre, on va faire venir la fanfare et ce qu’il faut de petites poules-majorettes, je suppose, pour tenter une sortie de clinique pimpante. Mais ça sent l’enterrement de première classe. Le maire va pérorer, je parie, devant Son Œuvre, celle par laquelle tout édile, tout ministre, tout président veut marquer son empreinte, son temps, sinon l’éternité…
Cette place des Logis – bof, c’est son nom –, elle m’attriste maintenant. Chaque jour, à l’heure de la baguette et du journal, elle me désole. Non pas que je cultive la nostalgie, au contraire même. Mais je n’aime pas qu’on gomme l’Histoire. Faire «table rase» ou «place nette», c’est nier le passé, attrister le présent, fermer l’avenir.
Donc, le maire et certains de ses conseillers ont décidé d’effacer l’ancien régime et ses traces visibles. À la casse, la petite halle un tant soit peu «locale», presque provençale. On a commencé par ça. Prétexte «sécuritaire» : les jeunes s’y regroupaient, ce qui est mal (ils parlent fort, trop fort), inquiétant (dieu sait ce qu’ils pouvaient tramer), plus qu’inquiétant (du haquik, je vous dis !). Exit aussi la fontaine et sa pierre ronde. Et que les jeunes aillent «dealer» ailleurs, on s’en fout, pourvu que ce soit hors de nos yeux et oreilles. Et que la Paix soit avec nous…
La paix, celle-là, aura ainsi duré presque deux ans. Plus rien que le vide. Jusqu’aux travaux entamés avant l’été. Le grand chantier. La totale, comme en chirurgie, je vous disais. Cassage du sol, des côtés, des arbres et de toute trace ancienne. Mort à la vieillerie et gloire au neuf, au propre, au fonctionnel. Gloire à la modernité et à ses promoteurs, ces grands visionnaires de l’avenir radieux !
La petite halle mise à mort par la "main invisible du Marché"…
J’aimais bien «ma» place des Logis. Oh, elle n’était pas terrible, sentait déjà la main lourde des techno-politiciens qui, aussi, y allèrent de leurs pelleteuses et rouleaux compresseurs. Ce sont les mêmes qui bétonnèrent, comme disent encore des Venellois, tout le coteau sud de la colline. Du logement, certes, il en fallait bien. Mais à quelles conditions ? Au profit de qui ?
Soit. Mais «ma» petite place, maintenant qu’on lui a fait la tête au carré et la boule à zéro, bien dégagée sur les oreilles, je ne la reconnais plus. Je l’ai même rebaptisée «Place Ceaucescu»… Vous savez, l’ancien dictateur roumain, qui édifiait des palais staliniens sur les ruines, dégagées aussi, de la Roumanie ancienne. C’est une pratique constante des autocrates de l’extrême. Voyez l’Histoire, la grande, je n’insiste pas.
Je ne dis pas que le maire est un dictateur local ; je ne saurais même l’insinuer. Il faudrait, comme les vrais, qu’il ait eu une intention maléfique. Je ne la soupçonne nullement.
Jean-Pierre Saez – il est temps de faire les présentations –, est maire de Venelles – dans les 8.000 âmes à 10 km au nord d’Aix, altitude 400 m. Il a hérité de la magistrature locale lors des élections de 2001 qui ont vu s’affronter deux listes «de gauche». Ayant raflé la mise sans grand mérite et sans programme affirmé, le nouvel élu s'est bientôt mis à l'oeuvre selon son registre de référence, celui de la droite libérale, UMP tendance Démocratie libérale d’Alain Madelin. Il roule en 4x4 [photo, devant la mairie] et ne craint pas de se targuer d’«écologie», concept auquel il accole, il est vrai, une vision limitée de gestionnaire (ancien pompier civil et militaire, il fut directeur de la communication à l’Institut de protection de la forêt méditerranéenne).
Sa plus grande réussite locale est d’avoir créé une régie municipale de l’eau, ce qui est plutôt paradoxal pour un adepte du tout libéral, là où son prédécesseur, Pierre Morbelli, socialiste à sa façon, avait contracté avec la Saur, filiale de Bouygues… Comprenne qui peut. Estimée abusive, la rupture du contrat amena la Saur à intenter un procès à la mairie. De très importantes indemnités de dommages et intérêts sont en jeu dans des procédures lourdes.
La place nouvelle, donc, représente le symbole affligeant de cette volonté de faire table rase. Jean-Pierre Saez applique en cela, à la lettre, le credo ultralibéral dominant. Comme l’actuel gouvernement – à l’exception de la distribution de l’eau, donc –, il privatise à sa manière : dissolution amorcée de l’Office municipal de la culture et de la jeunesse – la culture, ça doit être géré selon les critères de la rentabilité d’entreprise [Photo ci-dessous: manifestation en janvier 2005 contre la politique "culturelle" municipale] ; projet de vente des logements sociaux du parc municipal – tentative ratée, il s’agissait de combler les finances calamiteuses de la commune, et cela alors que ce type de logements manque cruellement. Et jusqu’à la place du village elle-même, dont on comprend aujourd’hui qu’elle a été déshabillée pour être livrée aux marchands du temple.
La place, le cœur, ont en fait été vendus au marché du samedi et, plus crûment, à la Loi du Marché, selon le dogme ultralibéral pour lequel prime l’échange de la marchandise sur les relations humaines. Non pas que dans le commerce il n’y ait pas d’humanité, bien sûr ! Mais de ces transactions-là, retirez voir l’argent et mesurez la sécheresse restante des liens affectifs, intellectuels, culturels – politiques au plein sens du mot, de la vie de la cité. Ah ça oui !, les commerçants seront peut-être ravis de trouver les prises d’eau et d’électricité ; sans doute tirera-t-on quelques ressources fiscales attendues de la venue de nouveaux marchands – car tel était bien le but du but.
Mais les autres jours, les jours de l’ordinaire quotidien, qui donc viendra s’asseoir sur les bancs de fer froid, aux places séparées, comme dans les métros ? Quel petit vieux viendrait, au soleil d’hiver, s’y réchauffer en papotant comme sur un banc en pierre de Rognes ? Ou en été à l’ombre d’un improbable platane ? Cinq trous de terre ont été ménagés, il est vrai, pour y planter des remplaçants, ou des «ornements»…
Cette place est un fiasco politique, certes. Et un fiasco humain.
Passons sur les quelque 280.000 euros de ces travaux, qu’aurait peut-être justifiés un aménagement humain, à échelle humaine, conçu pour la rencontre, l’échange, la beauté simple et le simple bien vivre… J’y aurais vu de la verdure certes, des courbes et des teintes douces, des bancs accueillants, une fontaine bien sûr, marquée par une œuvre sculptée, un kiosque pour un peu de musique ou pour la parlotte, oui… Au fond, un peu comme elle était, mais en mieux quand même, comme la suite d’une histoire commune, celle de la Commune, là où l’on cultive le Bien commun, cette richesse aujourd’hui en perdition.
Cette place aurait pu s’appeler la place de l’Embellie. J’ai dû rêver.
Suite sous forme d'une demande de précision d'un Venellois : "J'ignorais qu'on devait inaugurer ce désert: ce n'est pas fini comme ça, tout de même !?
"Tu ne dis rien sur l'intention officielle de la Municipalité quant à ces travaux: y-en-avait-il une, d'ailleurs? Hormis celles que tu suggères: faire table rase symboliquement et faire place aux marchands du temple ?"
C'est vrai, j'aurais dû le préciser; d'autant que l'intention est énoncée, si on veut, dans la revue municipale, Venelles Magazine n°7, printemps 2003 :
"Nouveau visage pour la place des Logis […] La démolition de l'abri et des jardinières vont [sic] laisser place à une véritable place de village. Ces travaux ont pour but l'agrandissement de la place afin de la rendre plus conviviale. Des bancs, des arbres, des plantes ainsi que des lampadaires vont être installés afin de permettre aux flâneurs de s'arrêter quelques instants et de prendre du bon temps. L'espace supplémentaire ainsi créé […] accueillera les manifestations de notre village et celles des associations, telles le marché aux fleurs, le marché calendal, les fêtes votives ou le 14 juillet."
Ah! cette fameuse "convivialité"… Que de crimes ne commet-on pas au nom de cette notion aussi passe-partout qu'invoquée à tout va.
→ Sites sur Venelles :
"13770-Venelles", avec de nombreuses informations, du débat, des liens pratiques, etc.
"Venelles pour vous", sur la vie locale.
"Venelles.info", média de deux élus municipaux.
"Mairie de Venelles"
"Office Municipal de la Culture et de la Jeunesse"