Par Laurence Américi
Le discours de Chirac ce soir m'a poussée vers le clavier. Voici un président de la République française qui s'adresse très officiellement à ses concitoyens et qui annonce qu'il a choisi un Premier ministre et... un ministre de l'Intérieur. « Dans un esprit de rassemblement, a-t-il en effet déclaré, j'ai demandé à Nicolas Sarkozy de rejoindre le gouvernement comme ministre d'Etat, ce qu'il a accepté ». Et nos bons journalistes de télévision de nous servir les sujets attendus sur ce pauvre Raffarin qui s'en va et sur le bel aristocrate qui s'en vient. Rien ne les choque, rien ne les dérange et l'on passe au titre suivant...
Pour ma part, je quitte mes fourneaux et je cherche nerveusement dans ma bibliothèque le bon vieux GF-Flammarion Les constitutions de la France depuis 1789 qui a si souvent éclairé ma lanterne. Et là, bien entendu, je retrouve l'article 8 de la Constitution de la Ve République : "Le président de la République nomme le premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions."
Ce n'est pas un détail, cette procédure. Le Premier ministre est chargé de composer un gouvernement. Article 20 : "Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation." Et c'est collectivement que ledit gouvernement est responsable devant le Parlement, comme cela est précisé aux articles 20, 49 et 50.
Mais Jacques Chirac lui, de cela, il s'en fiche. Il nomme un Premier ministre et un ministre de l'Intérieur parce que là, pour son boulot de maintenant, ça l'arrange. Que ce soit contraire à la Constitution ça n'a pas l'air de le déranger et il aurait tort de s'en priver, puisque les journalistes ont l'air de prendre ça si bien.
Ou peut-être se trompe-t-il de Constitution? Il y en a bien une selon laquelle "les ministres ne dépendent que du chef de l'Etat ; ils ne sont responsables que, chacun en ce qui le concerne, des actes du gouvernement; il n'y a point de solidarité entre eux". C'est la Constitution du 14 janvier 1852, qui n'a pas tardé à devenir la Constitution du Second empire.
Je ne vais pas m'étendre ici sur l'imbroglio institutionnel. Imaginons une motion de censure à l'encontre du gouvernement et le ministre de l'Intérieur qui dise: mais moi, j'ai été choisi directement par le président, je ne suis pas tenu d'être solidaire. Je laisse aux gens dont c'est le métier la tâche d'analyser les implications de cette entorse à la règle constitutionnelle.
Ce que j'en retiens, pour ma part, c'est un éclairage sur la campagne pour le oui.
J'étais surtout embêtée par deux points dans le projet de Constitution européenne: d'une part il ne précisait pas à qui appartenait la souveraineté (ce qui me semblait absurde) et d'autre part il n'appliquait pas la séparation des pouvoirs (ce que je trouvais dangereux). Dans ces conditions, j'avais du mal à comprendre et à accepter le discours dit "social-démocrate" selon lequel il fallait tolérer ces imperfections, par esprit de compromis.
Mais quel compromis? Fallait-il croire en l'existence en Europe de Nations où la souveraineté ne serait pas définie et où la séparation des pouvoirs ne serait pas garantie? Alors que nous savons que des institutions démocratiques sont indispensables pour entrer dans l'Union? Les insuffisances de la politique sociale dans le texte relevaient d'un autre débat: il n'y a pas lieu d'y avoir une quelconque politique dans une constitution. Mais si les pouvoirs y sont mal définis, alors elle est mauvaise et je la vote pas. C'est tout.
Et je comprends ce soir pourquoi cela n'inquiétait pas Chirac et si peu les autres hommes politiques (favorables ou hostiles au projet de traité). Une constitution, pour Chirac, c'est juste un catalogue de bonnes intentions pour la galerie. Si la constitution le dérange, il l'oublie et fait à sa guise... On aurait aussi bien pu faire pareil en Europe, non?
Toute plaisanterie mise à part, il me semble que ce qui se joue c'est la fonction de la loi dans nos États. Une règle universelle ou bien un contrat, qui évolue quand les partenaires l'acceptent mutuellement. Nous sommes là au coeur du libéralisme: tout se discute, dès lors qu'un compromis est possible, cela vaut droit. Notre constitution (que l'on peut difficilement accuser d'être trop démocratique) relevait d'une autre conception du droit, d'une autre idéologie, que l'on peut dire républicaine, pour faire vite.
Faut-il vraiment parler de cela au passé?
Je suis un peu en colère ce soir, mais je suis aussi bien curieuse de voir ce que cela va donner... D'autant plus qu'il est peu probable que cela finisse en fête impériale, que je vois mal Bernadette en Eugénie et que je me vois moins encore en fédérée...