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24 août 2005 3 24 /08 /août /2005 22:00
Les avions tombent,
le compassionnel vole bas


Les morts de la Martinique. Tout ce déversement compassionnel… Ça me met mal à l’aise. Et le « ça », une fois de plus, c’est la mise en spectacle et donc l’exploitation des émotions. Aussi sincères soient-elles, elle deviennent suspectes dès lors que les médias s’accaparent une réalité, la transforment bien sûr, et mettent le spectateur en position de voyeur. Tu n’as qu’à pas regarder ! Ce que j’ai fait devant ce trop de télé impudique. C’était hier.

Aujourd’hui, me voilà rattrapé par mon quotidien de chez moi (La Provence), avec sa une et sa pleine dernière page de photos. N’est-ce pas trop, sinon suspect ? Que cherche-t-on à «payer» ? Quelle culpabilité, pour racheter quelle faute ? Comme si « on » recherchait le pardon envers ces « pauvres Antillais », si loin, si pauvres, si noirs. D’ailleurs, les morts de Charm-El-Cheik n’ont pas déclenché pareil «élan national» – ceux-là ne devaient-ils être que « normaux » ?


Libération, de son côté, a fait montre de tact : un papier, une photo – justes, sans pathos. Le Monde aussi reste sobre, flaire le risque de dérive et élargit, dès la une, avec une problématique sur «politique et communication compassionnelle». Ce qui donne lieu à une très intéressante interview d’un médecin psychiatre de Nantes envoyé au Venezuela pour accueillir les proches des victimes. Les propos de Ronan Orio sont des plus grinçants à l’égard des hommes politiques «devenus les officiants de cérémonies toujours œcuméniques. Dans ces retrouvailles, il ne faut fâcher ni les religions, ni les partis politiques». Sa chute est terriblement politique : «Comme ils n’ont plus de pouvoir d’action sur la réalité sociale, les responsables politiques se réfugient dans la communication. La communication compassionnelle, celle qui prend aux tripes […]. » Voilà pourquoi je reproduis cette photo, extraite de La Provence, qui me paraît coller aux propos du médecin. Baroin, Chavez et Chirac avec chacun son œillet sur le cœur – c’est-y pas bon ça, Coco ?

Toujours à propos des avions qui tombent – et qui font tomber les dépêches à l’avenant, avec cet effet d’amplification bien connu, tendance « loi des séries » ou «série noire» –, un risque nouveau n’a pas tardé à poindre: la déstabilisation du marché aérien. À force de dénoncer les avions-poubelles affrétés par des compagnies de complaisance (pendant aéronautique des pratiques maritimes bien connues, avec les dégâts que l’on sait), la clientèle déjà peu rassurée en vol devient plus méfiante encore que froussarde. D’où les multiplications récentes de révoltes de passagers, devenus très regardants. Il y a du Potemkine dans l’air des charters… A se demander si le peuple touristique ne va pas bientôt exiger la lune et instaurer des soviets.

L'anxiété a aussi gagné le commerce aérien, touchant toute la chaîne : passagers, voyagistes, compagnies, hôtellerie et peut-être même, à terme, la construction aéronautique elle-même. D’où l’urgence à canaliser les angoisses montantes. D’où les effets d’annonce des politiques sur le mode « on va publier les listes noires » (Perben) – on avant aussi promis un « label bleu » des charters… D’où aussi les articles en tous sens sur la légendaire sécurité des transports aériens. Tout comme cette brève, pour le moins équivoque… [La Provence, 25/08/05]:


C’est le moment de rappeler la pleine actualité d’un film argentin récent, Whisky Romeo Zulu. Ce titre est le nom de code d'un Boeing+737 des lignes intérieures argentines qui s'est écrasé lors du décollage, à Buenos Aires, le 31 août 1999, faisant 67 morts. Son réalisateur, Enrique Piñeyro, on peut dire qu’il sait de quoi il parle : c’est un ancien pilote de la compagnie argentine Lapa. Son film présente donc une vraie valeur documentaire. On le voit ainsi tenir son propre rôle, et se bagarrer contre les dirigeants de la compagnie – et les militaires argentins alors chargés, entre autres…, de la sécurité aérienne. D’un côté des impératifs de rentabilité, de l’autre des avions et des équipages forcés à voler avec des appareils de navigation en panne et dans des conditions et des équipements non réglementaires – qui conduisent à la catastrophe. Les rebuffades du commandant de bord, qui vient juste d’être promu, ne provoqueront que de le mettre au rancart… et à la caméra. Autant dire que c’est LE film qui ne risque pas d’être diffusé sur les vidéos à bord des zingues.

→  Afin de les regrouper, merci de "poster" vos commentaires sur "C'est pour dire".


 
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