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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 18:11

On les dirait sortis d’une BD de Crumb. Ou d’une version jazz des Marx Brothers. Voyez les photos toutes fraîches de Gérard Tissier. Soit quatre lascars, des New-Yorkais free comme l’air et pas nés de la dernière présidentielle. Samedi à Vitrolles (13), ils ont chamboulé le Moulin à Jazz qui en a pourtant vu et entendu en vingt ans d’existence.

On ne raconte pas la musique. Tout juste peut-on broder quelques images sur des sons, à peine émis et déjà évaporés dans le cosmos. Les disques, certes. Comme des conserves. Bon quand même pour rappeler quelques saveurs, nourrir les souvenirs. Préférer les fraises sauvages, vers Fontblanche par exemple, pour ceux qui connaissent.

Voyez leurs trognes. Par ordre d’apparition. Lui, Joe Fonda, le fondu de la contrebasse. Son hénorme qui tient les quatre piliers du gang. Joie de vivre et humour. Contagieux. Les voilà enfiévrés, secoués à l’autre bout de la rythmique par la batterie de Lou Grassi. Phénomènal, entre caresse de peau et déluge de Brest. Richesse inouïe des battements, temps et contretemps. Puis le souffle. Roy Campbell aux embouchures – trompette, trompinette, bugle et flûte. La forge peine un peu à chauffer puis jaillit en étincelles, des traces d’étoile. Mark Whitecage – alto et clarinette – emballe le tout dans des chorus prodigieux. S’il fallait situer l’aventure, histoire que les absents se mordent les doigts, le Nu Band nous a baladés entre l’Art Ensemble de Chicago, Roland Kirk et Ornette Coleman. Même les plus freeleux se seraient laissé emballer. Si si, je le parierais ! En tout cas le Moulin, qui ne connaît pas la crise, a battu son plein.


  

  
Photos © Gérard Tissier

 

Roy Campbel est mort le 9 janvier 2013 à l'âge de 61 ans.

 

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28 juin 2008 6 28 /06 /juin /2008 21:01
Le domaine de Fontblanche, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) est un lieu béni du jazz. On y « mouline » des concerts un samedi sur deux toute l’année, ou presque. Et au début de l’été se tient un festival de trois jours. Vendredi, samedi et dimanche prochains – 4, 5 & 6 juillet donc –, ce sera le onzième du genre, autour d’un programme aux petits oignons. Voyez directement par un simple clic . Pour les indécis, quelques photos ici (de 2006) afin d’effacer d’éventuels et même probables stéréotypes collés à l’image d’un certain Vitrolles sous un certain régime politique à l’opposé du jazz libre et libertaire. Vérification en direct chaque soir dès l’heure de l’apéro-jazz, en fanfare(s), suivi de trois concerts.



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16 juin 2008 1 16 /06 /juin /2008 21:05
Dans l’art du trio de jazz, il avait rejoint les plus grands. Le pianiste suédois Esbjörn Svensson est mort samedi 14 juin, à 44 ans, suite à un accident de plongée sous-marine dans l'archipel de Stockholm. C’en est donc fini de cette belle formation portant le nom de son leader, mais plus connue sous l’abréviation d’E.S.T.

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Dan Berglund, contrebasse et Magnus Öström, batterie, se retrouvent évidemment comme orphelins musicaux, même s’ils sont tous trois de la même génération ; même si le succès du groupe revenait à chacun d’eux qui, d’ailleurs, co-signait les compositions. Comme pianiste, Esbjörn Svensson se référait à Keith Jarrett  et à Chick Corea, influences dont il avait su se démarquer. Il a aussi composé, exprès pour sa belle, la chanteuse Viktoria Tolstoy (arrière petite fille de l’écrivain russe), la musique d’un album, « Shining on you ».

On doit à E.S.T. un jazz limpide, riche et sobre à la fois, servi par un son très identifiable dû autant à l’originalité musicale qu’à un recours subtil à l’électronique – d’où des sonorités parfois audacieuses (« Carcrash », morceau de 18 minutes dans « Strange Place For Snow », 2002.)

E.S.T.a produit une douzaine de disques (chez l’éditeur allemand ACT) dont « From Gagarin’s point of view » qui, en 1999, l’a fait connaître en France. Là comme ailleurs, l’audience du trio a souvent dépassé les seules sphères du jazz. La jeunesse des musiciens et leur répertoire à l’occasion mâtiné de pop et de rock Il a aussi été programmé au festival de piano de La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône) en 2002 – ce qui m’avait valu le plaisir de l’écouter dans les carrières de Rognes, autant dire dans des conditions optimales.

Esbjörn Svensson, entre ses deux complices, en 2002. [DR]

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12 mai 2008 1 12 /05 /mai /2008 15:54

Le jazz, cette aventure. Le concert comme un saut en parachute. Exploration de l’inattendu, virée dans l’inouï, culbute dans les envolées. Ivresse. Tout ce jazz – All that jazz qui devrait affoler les programmateurs. Une centaine d’heureux pourront dire « j’y étais ! ». Une centaine plus cinq, baignant dans ce même partage d’une soirée dans et hors du temps. Cinq fautifs, bien fêlés aux instruments, shootés aux sons, dealers pour paradis d’Eustache. Toujours ça de pris sur la noirceur du monde et ses sinistres reflets télévisés. Horizon dégagé ce samedi soir au Moulin à jazz de Vitrolles.. Ils allaient jouer de concert et de conserve, comme on dit dans la marine, qui en connaît un bout aussi au rayon des souffles et des courants voyageurs. Princes des anches, voici John Tchicaï et André Jaume. Une histoire du jazz à eux deux, pas seulement au privilège des années, davantage à celui de l’expérience, qui a nourri le talent – inspiration et transpiration liées.

John est Danois par les papiers – des papiers de sans-papier, dirait-on de nos jours : papa congolais, boy au service d’un ethnographe allemand en mission vers Brazzaville et Kinshasa ; il revient avec lui, dans ses bagages, à Berlin ; puis se retrouve comme serveur à Copenhague… [A revoir donc, la notice du Dictionnaire du jazz qui parle d’un père « diplomate ».] John raconte : « À la première rencontre de ma mère, une Danoise, il lui a dit “Vous êtes la femme que j’aime”… Et voilà. Ils vivront une vingtaine d’années ensemble. Je suis né en 1936 et mon frère deux ans plus tard »

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Passons sur l’enfance danoise et l’apprentissage musical du jeune métis – violon, saxo et clarinette. Rencontre avec Archie Shepp qui l’ « envoie » à La Mecque du jazz, New York. De 62 à 67, John Tchicaï va se frotter à la « new thing », dont le tromboniste Roswell Rudd avec qui il monte un quartet, et une certaine Carla Bley (À questionner là-dessus lors de son passage au prochain festival de Charlie Free début juillet). Il enregistre alors une dizaine de disques, entre autres  « Ascension » avec John Coltrane et, avec Albert Ayler, la musique d’un film, « New York Eye and Ear Control ». On le retrouve ensuite dans d’innombrables enregistrements (Voir son site).

John Tchicaï vit depuis une dizaine d’années près de Perpignan : y trouverait-on l’explication de sa rencontre avec André Jaume, le Marseillo-catalan vivant en Corse ?… Totale spéculation, s’agissant de ces purs métèques que l’universalité musicale aura placés aux mêmes croisées de chemins. Le jazz libre – quasi pléonasme – renverse les frontières pour recréer des mondes en mouvement. André est de ceux-là, parmi les tout premiers. Hors sphère jazzistique, dans l’étroitesse hexagonale, on tarde encore à le reconnaître comme tel. Nul n’étant prophète, et caetera, il a lui aussi trouvé sa voie en dehors, par exemple aux côtés de Jimmy Giuffre – qui vient de mourir. (On leur doit de somptueux concerts et disques. Le quintet de samedi jouera un de ses morceaux en hommage). Mais s’il est parti, un peu, André Jaume, c’est sans aigreur, pas son genre de s’en faire pour la notoriété. Samedi soir donc, lui à l’alto, au soprano et à la flûte. John au tenor. Ne tentons pas de dire l’inracontable. Les mots sur la musique, ça ne parle qu’en douce, par allusions, analogies. Un peu comme en gastronomie. Rien ne vaut le plat [pas vrai Evelyne, private joke intra Charlie Free]. Plutôt tenter les demi-mots, qu’on enfilerait en grappes poétiques, sonores, en tons et nuances de tons. Même le disque ne rend pas le concert. Sans doute peut-il en donner un goût, provoquer des réminiscences, aiguiser les désirs. Lu l’autre fois sur un dos de t-shirt : « La meilleure façon d’écouter le jazz, c’est de le voir ». De le vivre même, chipotons pas et voyons large ! Tant pis pour les absents – oh pôvres ! – qui ont raté ce moment pour le moins historique. D’autant que trois autres musiciens de haute volée se tenaient en embuscade sur la « grande scène mondiale » du Moulin à Jazz – la gare de Perpignan étant bien le centre du monde dalinien… A ma gauche et à la guitare, Alain Soler, tout en élégance et précision, l’arôme de framboise – métaphore limite, j’avais prévenu… Au centre, caché derrière grand-maman, Bernard Santacruz – magnifique son des profondeurs, imagination et tenue rythmiques. A droite, Marc Mazzillo, maître des peaux et cymbales – que je ne vous dis pas ce duo avec Tchicaï !

Oui mais, quelle « sorte » de jazz est-il donc sorti de tout ça ? Be-bop, hard bop, free ? Ah la belle affaire des étiquettes rassurantes ! Le secret d’une telle soirée, plus sans doute, que bien d’autres – et à colporter sans réserve –, un secret tout bête s’agissant de musique : l’écoute. A commencer par celle des musiciens entre eux, attentionnés à l’extrême, pas tendus, sinon vers la musique des autres, de chaque autre, comme les doigts de la main qui joue. Et qui serre la main du public, en un « sextet » fraternel et heureux.

>>> Voir aussi, à propos du même quintet au Festival 2007 de La Seyne-sur-Mer.

>>> Prochain concert au Moulin à Jazz de Vitrolles (Bouches-du-Rhône) : Issam Krimi Quintet, samedi 24 mai, 21 h. Voir www.charliefree.com

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29 avril 2008 2 29 /04 /avril /2008 15:46
Fièvre du samedi soir, Moulin à Jazz, Vitrolles. Quatre musiciens belges, donc un quartet, mené par Manuel Hermia selon le carré magique alto- piano- basse- batterie. La formation porte le nom de Rajazz, fruit d’un accouplement de ragas indiens et de jazz. Une référence d’ailleurs toute en demi-teintes, s’agissant de subtilités entre musique tonale et modale qu’une oreille distraite ou seulement de base ne saurait percevoir. Même lorsque Manuel Hermia fait chanter le roseau de son bansuri, cousin boisé de la flûte traversière qu’il joue d’ailleurs aussi, ainsi que le soprano.




Une soirée qui n’a donc pas manqué d’air et de souffle bruissants et chantants. Un régal, d’ailleurs partagé au nom d’un miracle, celui par lequel ces musiciens arrivés ici, dans ce haut-lieu provençal de jazz – oubliez la cata des Mégret, la municipalité de gauche entame son deuxième mandat –, dans ce lieu-là et il est vrai dans bien d’autres dès lors que les musiciens et le public se sentent bien. Miracle tout de même fortement arrangé par le boulot d’une association, Charlie Free, qui œuvre depuis deux décennies, à raison de deux concerts par mois et une dizaine de festivals. Donc rien à voir avec Dédette de Lourdes, mais avec des effets comparables : ainsi voit-on des oreilles arrivées en chaises roulantes, voire totalement paralytiques, se déployer comme par enchantement et céder sous les assauts de sons a priori peu « vendables ».

>>> 

Voilà la question : celle de l’anti-bizness, du refus de la musaque – selon le mot de Bourdieu – et autres Marchandises avariées. Car il en va du jazz comme des autres musiques non faisandées, et des arts en général : toutes et tous exigent comme préalable ce ticket d’entrée qui ne se monnaie pas en euros, mais s’échange seulement en ce désir de l’Autre, ce désir d’Aller vers, de s’Aventurer. Ce qui demande d’avoir façonné à son usage quelques clés d’accès, même pas tant de la culture – elle ne sera pas de trop mais le mot, lui, pèse de ses sens chargés –, que cette connaissance, ce naître avec : avec l’Autre, les Autres, avec Soi, le Monde, la Vie… Donc, sortir des enfermements de la marchandise, du consumérisme qui conduit à l’obésité et, au nom du dogme de la Croissance, finit dans le mur des crises mondiales.

A condition de pouvoir sortir du cercle vicieux… On retrouve là l’indispensable ingrédient qui a tout de même permis, notamment en France, l’émergence d’une certaine culture populaire. Ce qui est devenu si ringard de nos jours, comme tant d’acquis sociaux considérés comme des boulets à la pratique « décomplexée » du culte de la Modernité… Tu parles ! Et au nom de quoi, les ultra-libéralistes aux commandes « désengagent l’État » et vogue la galère du Dieu-Marché, vous savez, le sauveur suprême qui nous guérit de toutes maladies – évidemment, la mort vaut remède radical…

Exemple : la Délégation régionale des affaires culturelles (DRAC), bras armé dans les régions du ministère du même nom, vient de refuser à Charlie Free, pour la énième fois, toute subvention et notamment celle demandée au titre de l’aide à la création (l’association accueille chaque année en résidence des jeunes musiciens en échange d’un concert pendant le festival). Argument comme un aveu : « Étant donné l'enveloppe financière disponible et le nombre de projets déposés, au vu des priorités du ministère, votre demande n'est pas retenue ». Or, la « culture populaire », rappelons-le, fonctionne comme une sorte de mutuelle nationale permettant de « lisser » un tant soit peu les inégalités sociales ; d’où les subventions aux associations, sans lesquelles celles-ci ne pourraient tout bonnement plus exister.

Revenons à la musique – on n’en était pas si loin, s’agissant d’harmonie sociale… Revenons à nos quatre du Rajazz, à propos desquels, dès dimanche, j’échangeais quelques mots un peu pessimistes avec Claude Gravier, le président de Charlie Free :

« Je viens d'écouter le disque "Rajazz"; excellent comme l'a été leur concert d'hier. La question posée, éternelle – enfin jusqu'à présent : comment jouer après Coltrane ? Ils cherchent bien des réponses de leur côté… mais retombent sur le Trane qui, lui aussi, était aller piocher dans le fond des musiques indiennes et aussi dans le bazar mystique, d'où également les allers-retours entre tonal-modal. Des nuances qui comptent, certes, dans l'univers musicologique, mais tout de même peu perçues en dehors. Dans la foulée, je me suis remis une louchée de Trane (celui de la fin, "Transition", 65) en me disant qu'il avait sans doute mieux que jamais perçu le terrible enjeu de notre monde fini (finissant ?) entre désir d'harmonie et brutalité du chaos moderne.

« Je ne vois rien dans l'art contemporain de plus explicitement politique. On n'est pas tenu de chercher des réponses mystiques comme le Trane. Mais c'est une option (d'ailleurs à l'origine du blues puis du jazz : le désespoir d'ici-bas des nègres esclaves américains déportés face aux espérances de l'au-delà). Une autre relève de la révolte face au chaos d'ici-bas. Ce n'est pas le fort de la musique classique, bien qu'elle s'y soit mise, plutôt par exceptions,  à partir de la révolution industrielle – peut-être avant aussi avec le romantisme, de manière individuelle. La musique contemporaine, oui, a pris le taureau par les cornes en posant la question de la forme en tant que révolution, sans l'exclure de la dimension sociale – sociétale plutôt. Mais la jonction ne s'est tout de même pas produite, tout comme pour le jazz d'ailleurs : même si c'est à un niveau moindre, on reste dans la sphère de musiques érudites. Ce n'est pas, il me semble, dû à la musique elle-même mais plutôt à l'inégalité de sa lutte – et à mon sens foutue – contre le système dominant de la Marchandise avariée. »

A quoi Claude me répondait :

«  Manuel Hermia n'est certes pas le premier à faire le voyage en Inde, mais je trouve ce garçon intéressant : il est imprégné de toutes sortes de musiques et de cultures : indienne bien sûr , mais aussi d'Afrique ou d'Espagne ou d'Amérique latine. Et comme en plus il ne se perd pas dans tout ça, ses compos sont originales et méritent d'être entendues.
Comme  les arrangements me semblent minimalistes, chaque musicien de son quartet est à l'aise dans les espaces ... , ce qui a donné un super concert.
 

John Tchicaï est aussi chanteur © gp



« Tu as raison, la marchandise avariée prendra toujours le pas sur les musiques que l'on dit vivantes ou actuelles, mais comment lutter contre les moyens de ceux dont les seules ambitions sont de remplir les temps de cerveau disponible ? A notre petit niveau, même si une petite centaine de personnes y trouvent un peu de bonheur, ce n'est déjà pas si mal... John Tchicaï et André Jaume, puis Issam Krimi et sa bande, puis le festival pour continuer à prendre du plaisir ... et mort aux cons. »

Nous étions bien en phase.

Là-dessus, on apprenait la mort de Jimmy Giuffre (prononcer guioufri à l’américaine), passerelle entre le style dit West Coast et ce qu’est devenu le jazz actuel, y compris via le free jazz. Arrêtons de faire savant, alors qu’il s’agit d’ouvrir tout grand les portes de l’universelle musique.

En résumé : écouter le Rajazz quartet de Manuel Hermia, CD du même nom avec Erik Vermeulen, piano ; Sam Gerstmans, contrebasse ; Lieven Venken, batterie; visiter aussi www.manuel-hermia.com ; passer par Charlie freewww.charliefree.com et réserver pour les prochains concerts dont celui du samedi 10 mai avec André Jaume, un complice de longue date de Jimmy Giuffre, et John Tchicaï, qui a joué avec John Coltrane, Carla Bley , Albert Ayler, Cécil Taylor, Rosewell Rudd, Archie Shepp – faut-il vous l’emballer ? Puisque vous insistez il y aura aussi Alain Soler, guitare ; Bernard Santacruz, contrebasse ; Marc Mazzillo, batterie – bref un vrai quintet de luxe, tout comme sur la photo prise l’été dernier au festival de La Seyne-sur-Mer.


Alain Soler, André Jaume, Bernard Santacruz, John Tchicai et Marc Mazzillo © gp
>>> cliquer sur la photo pour la voir en entier.

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4 janvier 2008 5 04 /01 /janvier /2008 10:10

undefinedJazzman de janvier nous offre un bel échange entre deux saxos de haute volée. François Théberge, le Québécois, s’entretient avec l’Américain Lee Konitz. L’un 45 ans, l’autre 80. Une même fougue musicale. Même et tellement autre, ce qu’on appelle le style, l’homme. Le mois prochain sort leur disque en commun – qui s’appelle pourtant Soliloque… En tout cas, cet entretien est un vrai dialogue. J’aime beaucoup ce que Lee Konitz dit de la voix, de l’instrument amplificateur de la voix. Ça me fait aussi penser à cet autre entretien dans lequel Keith Jarrett raconte qu’en jouant (du piano), il imagine jouer du saxo… Sans parler du fait que Jarrett chantonne et gémit en jouant.


Extraits de l’entretien Théberge-Konitz :

Que dirais-tu à un aspirant musicien? À un gamin de quinze ans qui adore le jazz et voudrait commencer la musique?
– De ne pas jouer de son instrument! Mais de chanter, d'identifier quelle est la musique qui lui correspond avant même de songer à maîtriser la technique instrumentale. Quoi qu'il aime ou écoute, qu'il se le chante à lui-même, qu'il en tape les rythmes avec les mains, qu'il l'entende dans sa tête, afin de se familiariser avec. Qu'il travaille cette faculté sans encore jouer d'un instrument. Celui-ci n'est qu'un amplificateur de la voix, si on peut dire. Donc, plus il entretiendra de familiarité avec sa voix, plus il sera à l'aise... Moi, j'ai commencé par siffler et chantonner avant de choisir la clarinette. J'avais onze ans. Deux ou trois ans après, je suis passé au saxophone alto.

Avant cela, tu sifflais les chansons que tu avais en tête?
– Oui, bien sûr. Je n'ai jamais éprouvé suffisamment d'assurance en la matière, mais j'ai tout de même chanté en public avec un orchestre mixte de Chicago. Je faisais une imitation d'Al Hibbler et de Billy Eckstine [Crooners noirs-américains des années 40]. Moi, freluquet boutonneux, je chantais Round the Clock Blues : « I said come on baby, lets have a little fun »... C'était à la Pershing Ballroom avec les petites Noires qui se disaient : "Mais qu'est-ce qu'il fout là, celui-là?" (rires). Enfant, j'écoutais beaucoup la radio. On entendait les orchestres de danse, des retransmissions depuis différents grands hôtels et salles de bal: Benny Goodman, Count Basie, Harry James, Glenn Miller, Jimmy Dorsey, Tommy Dorsey, Artie Shaw... C'est ce qui m'a inspiré.

Une fois que l'on a appris à chanter, quelle est l’étape suivante?
– Se familiariser avec les "Grands". Ce sont eux qui nous fournissent nos "études" à nous. Comme Chopin et Schubert. Nos études, ce sont les solos de Louis Armstrong, de Lester Young, de Roy Eldridge.

C'est amusant, parce que Stéphane Belmondo me disait que tu avais des phrases qui sonnent comm du Roy Eldridge!
– Je le prends comme un compliment! Il faisait partie des musiciens qui jouaient avec le plus d’intensité de tous ceux que j'ai entendus. C'était un chanteur, vous savez? Une sorte de Chet Baker « hot ».

Photo : Lee Konitz, François Théberge, Centro joven Sanse (San Sebastián de los Reyes, Madrid) © 2007 Javier Nombela
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26 décembre 2007 3 26 /12 /décembre /2007 20:37

Ben oui : c’est toujours les meilleurs qui partent. Les autres aussi s’en vont, mais ça peut même faire plaisir. Donc, Oscar Peterson est mort. Le planton de com’ de l’Elysée a versé la larme de faction [Tandis que l’autre se pavane avec sa nouvelle acquisition. Dans le luxe à Louxor, ça leur va si bien.] Causons jazz plutôt, ce qui n’a rien à voir.

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>>> Lire tout

 

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20 décembre 2007 4 20 /12 /décembre /2007 17:27

Ce titre-blague, pas terrible, soit, mais terrible quand même… Petit retour en arrière, samedi 15 décembre au Moulin à Jazz de Vitrolles. Soirée « filles » à peu de choses près, si on ose dire (deux musiciens mâles sur neuf). D’autant que l’homme est une musicienne comme les autres. On n’imagine même pas à quel point le masculin domine. Enfin, dominait. Car, sauf pour la grammaire et le genre qui l’emporte…


Voilà bien pourquoi la blague s’avère terrible : on n’assiste pas de nos jours à un quelconque équilibrage des genres, mais à un total renversement des dominantes. Et Les voici, Elles, triomphantes ou quasiment – exception faite des salaires, des postes-clé, donc de l’éco-social et de la politique. Pas rien, direz-vous, et il est vrai.

>>>
Pas rien mais peu de choses, au fond, car des plus provisoires, sans doute. Non pas qu’Elles aient pris le pouvoir – du pouvoir elles n’ont que faire, fondamentalement. Mieux, Elles ont pris position, comme on le dit des batailles décisives, bien campées sur le piton imprenable, asseyant leur tranquille domination. Tranquille ? Pas tant que ça, il est vrai, encore incrédules qu’Elles demeurent au sortir de longs siècles, que dis-je?, de millénaires de repliement, sinon de soumission. Et la guerre n’est d’ailleurs pas finie, certes pas, surtout pas sur les trois quarts et demi de la planète où la femme, toujours, subit le joug mâle.

Je parle ici de nos sociétés, celles du Nord et de la richesse criarde, de l’ostentatoire injustice, celles qui ont érigé le pognon et le luxe en idéal de vie, qui idolâtrent les stars, transmutent le strass en monnaie sonnante. Jusqu’aux sommets de l’État et en ses pipolesques extravagances.  De ces sociétés-là donc, et aussi de leurs îlots de résistance. D’où le retour à Vitrolles, Bouches-du-Rhône, ex-terre frontiste qui bouta le Mégret et sa bande vers d’autres destins. Charlie Free en fut, de cette Résistance, jazz en tête, musique bâtarde par excellence, pleine de nègres et de barjots, pas classable, pas convenable, pas correcte.

undefined© gp

Retour à samedi, au samedi « des filles ». A commencer par le quartet du même nom, « Les Filles » : accordéon, contrebasse, saxo, violon. Plus qu’il n’en faut pour une symphonie. Assez surtout pour écarter la « mâlitude », funeste tentation parfois pointée. Non, pas de comptét’ avec les couillus. Et du coup, tiens donc, pas de batterie gonflée à la testostérone. Zéro tambour. Rythmique confiée à la grand-mère (instrument de1850), cœur ardent gros comme ça. Les quatre se sont rencontrées sur leur terre du Luberon, venues au Moulin à jazz en voisines jouer sur le registre universel de la musique toujours réinventée. Elles se sont plu et se plaisent, ça s’entend. Ça se voit même, ce qu’on appelle le charme. Les mecs craquent en rêvant et sans le dire trop. L’autre moitié du monde doit savourer comme un goût de victoire suave. Enfin, Elles. La musique, mot féminin, non ?

Et au fait, petite leçon de genre poussée par Michèle, délaissant un instant son archet. Condensé d’un must circulant sur la toile :
« Un gars : c'est un jeune homme. Une garce : c'est une pute
« Un mondain : c'est un homme qui sort. Une mondaine : c'est une pute
« Un homme sans moralité : c’est un politicien. Une femme sans moralité : c'est une pute
« Un péripatéticien : un disciple d’Aristote. Une péripatéticienne… »
Et de conclure : « Mais heureusement il y a des musiciens – et des musiciennes ! »

undefined© gp

La Fanfarine, c’est aussi les deux. Trois parts de farine, deux de « fan »?… Fameuse recette aussi : deux clarinettes, un soprano, un baryton – Marie ne manque pas d’air ! – et un tambourinaire à grelots, comme au cirque à l’ancienne. Voilà la belle fanfare, celle qui relie musique de rue et racines du jazz, côté Louisiane.  Là, je cite Claude Gravier, en sa présidence de Charlie Free et dans son programme : « C’est une fanfare lilliputienne, gracieuse et délicate, légère et virevoltante, qui explore un répertoire à son image, futé, fruité et primesautier, composé de musiques à danser traditionnelles de France ou d’Europe de l’Est, magnifiquement chahutées, réinventées au prisme du jazz. Constituée de musiciens improvisateurs talentueux ayant tous en commun une ouverture à toutes les formes de musique, La Fanfarine invente une musique fluide et festive, bucolique et vagabonde, définitivement charmante et poétique. »

Idée : remplacez fanfare par équipe, musique / musiciens par politique / politiciens et vous avez le plus beau et utopique des programmes politiques. Pas de danger d’en retrouver un pareil avant mars – ni après ! Les musiciennes devraient diriger le monde. Avec des musiciens !
Gérard Ponthieu
     
> Quartet Les FILLES
Agnès BINET, accordéon | Christiane HILDEVERT, contrebasse | Véronique MULA, saxophone | Michèle VERONIQUE, violon

> La FANFARINE
Marie BRAUN, saxophone baryton | Alice WARING, saxophone soprano | Emanuelle SABY, clarinette | Robin LIMOGE, clarinette | Eric MODESTE, batterie

>> A visiter : www.lafanfarine.com
Et aussi : charlie free pour les prochains concerts, notamment celui du samedi 13 janvier.
Et encore : là, tout à côté un album de ce concert avec les photos de Gérard Tissier, qui n’en rate pas une (des soirées du Moulin à Jazz).   
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12 septembre 2007 3 12 /09 /septembre /2007 20:44
Sale temps pour Zawinul

Bon sang, encore un qui ne passera pas l’hiver ! Claviériste et multi-instrumentiste, compositeur, Joe Zawinul est mort ce 11 septembre à Vienne, là où il naquit il y 75 ans. Sur la planète jazz, c’était en quelque sorte Monsieur Météo, à cause de son bulletin plus connu sous le nom américain de Weather Report, groupe fondé avec Wayne Shorter en 70. Parce que Josef Zawinul, c’est plutôt le nom à se faire reconduire aux frontières. Surtout avec la tête en plus, celle d’un prolo saisonnier sous  le bonnet tricoté modèle Europe centrale – d’ailleurs il y avait chez lui du hongrois (aussi) et du bohémien. Pas de quoi devenir bécheur – je ne cite personne.


zawinul.jpgLe Joe aurait dû jouer la semaine dernière au festival de La Villette. C’est d’ailleurs là que je l’avais entendu il y a une dizaine d’années, pavillon Baltard, salle John-Coltrane ; j’avais emmené ma minette de fille, ravie de la soirée (certes avec papa…) qui fut en effet très belle. Zawinul jouait avec son « Syndicate » (Weather Report s’était dissout en 85).


Quand je dis “belle soirée”, c’était aussi au sens du spectacle et des lumières qui rendaient la musique visible. D’ailleurs, pour moi, Zawinul c’est d’abord du jazz à voir, même s’il n’y avait pas de sa part de volonté démonstrative. Sans doute pour ça que je l’écoute peu en disque. Bon, ben, j’avoue, je percute pas un max sur ce style; j'en reconnais la valeur inventive et la part prise dans les passages de courants – y compris au sens électrique puisque ses claviers l’étaient surtout; c’est d’ailleurs ainsi qu’il avait séduit Miles Davis qui l’embaucha, notamment dans “Bitches Brew” et “In a Silent Way”.


Ces noces de “fusion” mêlant jazz et rock – du moins c’est ce qui fut dit et quasiment décrété. Invité à la fête, comme tout le monde, j’ai un peu fait la gueule dans mon coin. Trop de nuages un peu lourds à mon goût, comme dans “Heavy Weather”, l’un de ses plus fameux disques.


12/09/07
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27 juillet 2007 5 27 /07 /juillet /2007 11:07
JAZZ. La Seyne, Napoléon, Marmande…

Y a bien des fois j’aime pas les journaleux. Mais les journalistes, la belle affaire. Tenez, ceux qui forgent leurs papiers à chaud sur une tribune de stade, et hop, dans le canard du matin ! C’est beau. Pareil pour un concert. De jazz pendant qu’on y est. La Seyne, Napoléon, Francis Marmande… J’explique.

Alain Soler, André Jaume, Bernard Santacruz, John Tchicai et Marc Mazzillo – Photo gp

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Hier soir, La Seyne-sur-Mer, dans le Var. 22e festival dit du Fort Napoléon. Car ça se passe là, entre quatre murs de forteresse, en haut d’une pinède qui domine la baie de Toulon. Un lieu comme une arène, mais carrée… Avec des gradins et du sable au fond d’où émerge une scène. Donc pas de toros ni de matadors. Pas de sang, du son. Il y a là, ce soir une sacrée brochette. Pas l’armada des grandes fiestas avec leurs vedettes, mais la fine fleur. Tenez, André Jaume, saxos et flûte. S’il n’était si modeste ce grand logerait au Panthéon.

De même John Tchicai. Hein, quoi, qui ? Une histoire du jazz à lui tout seul, tissée au long de ses 71 balais, né à Copenhague d’une mère danoise et d’un père congolais, déniché par Archie Shepp – je fais vite, les branchés iront au dico du jazz, page 1157. Toujours est-il que le voilà dans la New Thing à New York et on va le trouver aux côtés de Roswell Rudd, Carla Bley, puis Albert Ayler – il enregistre avec lui et Don Cherry, Gary Peacock, Sonny Murray une musique de film, « New York Eye & Ear Control », 1964. Avec John Coltrane, ce sera l’album « Ascension », 1965. Une trajectoire qui passe par la France, près de Perpignan où il vit aujourd’hui.

Retour à hier soir [26/07/07] en sax ténor, puissant et fin au possible, jouant de ses compos, ou celles de Bernard Santacruz, superbe contrebassiste, rejoint pour ce quintet d’un soir (ou plus car affinités très affirmées !) par Alain Soler – quel guitariste ! – et Marc Mazillo à la batterie. Lequel nous a offert, avec John Tchicai à la voix, un mémorable duo de peaux et de scat.

Je m’arrête là sur le concert proprement dit. Car je voulais en fait évoquer un autre artiste, qui lui joue du stylo – enfin du mac à 88 touches, on appelle ça aussi un clavier. Ça fait quelques années qu’on se croise, juste le temps de se saluer, de se dire, oui pas le temps, à la prochaine. Hier pareil. Il s’était réfugié sous un néon dans un coin du fort, comme un greffier de Napoléon. À une heure du mat’, l’affaire n’était pas bouclée. Car il ramait sur son instrument indocile. Jouer du cerveau, déjà c’est pas donné, mais la mise en musique !

Or, notre homme est un musicien. Du verbe, on le sait, et de la contrebasse. Paraît qu’il en touche un bon brin. Il joue aussi du planeur, que nous avons donc en commun, en plus du jazz et moins la corrida – nul n’est parfait. Ses chroniques, hors les olé !, j’en suis fan. Et même jaloux. Il est trop. «Mais non, mais non !» fait-il pour contrer le compliment en baissant un regard ado. Mais si mais si : trop cultivé, trop talentueux, trop bon journaliste. C’est pas dur, si j’avais encore un vœu de métier à formuler, ce serait ça : « Je voudrais faire Marmande ». Mais il est là. Et bien là.


PS. Alors, ce papier, ça vient ? (Voir Le Monde daté 28/07/07).

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Jazz au Fort Napoléon. La Seyne-sur-Mer. Miroslav Vitous Trio – en remplacement de Joshua Redman trio (le 27 juillet), Larry Willis (le 28), carte blanche à Médéric Collignon (le 29), Jean-Pierre Llabador (le 30), Christophe Marguet Résistance poétique Quartet (le 30). Tél. : 04-94-06-96-60.

www.jazzfortnapoleon.com

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